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L’invasion des vers plats en forme de marteau est sans doute loin d’être terminée

Depuis quelques années, des vers plats prédateurs ont été introduits un peu partout par l’import de plantes exotiques. Dans cet article publié dans Diversity and Distributions, une collaboration entre l’UPEC, le Muséum d’Histoire Naturelle, l’Université James Cook et le CNRS, impliquant iEES Paris, a permis de modéliser les risques d’invasion à l’échelle globale. Il en ressort que ces espèces envahissantes n’ont pas encore colonisé l’ensemble des régions à risque, lesquelles doivent donc redoubler de vigilance.


Des Plathelminthes terrestres, ou vers plats, se sont installés en France ces dernières années, vraisemblablement cachés dans le terreau ou sous les pots de plantes exotiques importées. Parmi ceux-ci, les bipaliinés ou « vers à tête en marteau » sont particulièrement impressionnants ; deux espèces sont présentes en France métropolitaine, probablement venus d’Asie, et globalement au moins cinq espèces ont été introduites hors de leur région d’origine. On a de bonnes raisons de craindre que leur introduction puisse bouleverser les écosystèmes envahis. Dans le cas de ces vers plats, leur régime alimentaire est en cause : ils sont prédateurs de gastéropodes (escargots, limaces) ou de vers de terre, architectes essentiels des sols.

Une stratégie de lutte efficace consiste avant tout à empêcher leur installation avant qu’il ne soit trop tard. C’est dans cette optique que l’étude visait à cartographier la susceptibilité à l’invasion par les cinq espèces de vers plats à tête en forme de marteau les plus fréquemment invasives dans le monde.

Pour identifier les zones pouvant potentiellement être envahies, des modèles statistiques ont été développés afin de mettre en relation les observations de vers plats (issues des sciences participatives) et les facteurs environnementaux, essentiellement climatiques. Cela a pour but de déterminer la niche écologique des espèces étudiées, et ainsi de délimiter les zones dans lesquelles elles sont les plus à même de proliférer.

vers plats
Photographie des deux espèces de vers plats à tête en forme de marteau présentes en France métropolitaine, et résultat de modélisation synthétisant les régions à risque d’invasion pour les cinq espèces étudiées.

Les résultats de modélisations apportent des pistes importantes pour la gestion des vers plats prédateurs invasifs. En France, chacune des cinq espèces étudiées est susceptible de trouver des zones climatiques favorables à sa survie. Pourtant, on n’observe à l’heure actuelle que les impressionnants Bipalium kewense et Diversibipalium multilineatum, facilement repérables avec leurs plusieurs dizaines de cm de long. Nous ne sommes donc pas à l’abri de l’arrivée d’un nouvel envahisseur tel que Bipalium vagum, un ver plat fortement envahissant en Amérique du Nord et aux Antilles françaises et pour lequel les modèles montrent une possibilité d’invasion sur une grande partie du territoire métropolitain.

Outre le cas particulier de la France, cette étude met en lumière des zones potentiellement propices à l’invasion par ces espèces ailleurs dans le monde. De façon remarquable, une petite région d’Amérique du Sud (le Río de la Plata et ses environs, un estuaire situé à la frontière entre Argentine et Uruguay) semble pouvoir accueillir l’ensemble des espèces modélisées. Dans cette région, de nombreuses autres espèces de vers plats terrestres prolifèrent de façon naturelle ; il convient donc d’éviter que des invasions d’espèces potentiellement compétitrices ne viennent fragiliser ces écosystèmes à la richesse exceptionnelle.

Puisque les modélisations prédisent le risque d’invasion par les vers plats en fonction de facteurs climatiques, il est possible de projeter ce risque d’invasion dans le futur, en fonction de différentes hypothèses de changement climatique. On observe ici que les deux espèces déjà introduites dans le plus grand nombre de pays à l’heure actuelle (Bipalium kewense et Bipalium vagum) sont aussi celles qui pourraient bénéficier d’un climat plus chaud. L’invasion des vers plats à tête en forme de marteau n’est donc pas prête de s’arrêter. Pour l’heure, les régions à forte probabilité d’invasion devraient redoubler de vigilance, car l’élimination de ces espèces des régions envahies risque d’être difficile.

Un projet financé par l’Agence Nationale de la Recherche est en cours au laboratoire iEES Paris, dont l’objectif est d’analyser l’impact écologique d’une autre espèce de ver plat introduit, Obama nungara.

Référence

Fourcade, Y., Winsor, L., & Justine, J.-L. (2022). Hammerhead worms everywhere? Modelling the invasion of bipaliin flatworms in a changing climate. Diversity and Distributions. https://doi.org/10.1111/ddi.13489

Contacts

FOURCADE Yoan, Maître de conférences UPEC à iEES Paris, équipe BioDIS du département DCFE

Jean-Lou JUSTINE, Professeur MNHN à ISYEB, Institut de Systematique, Evolution, Biodiversite

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