Des cyanobactéries, algues toxiques, ont été détectées dans des points d'eau d'Ile-de-France (image d'illustration, d'un lac près de Toulouse). — Marvod.png

20 minutes – C’est quoi les cyanobactéries, responsables de la fermeture de plans d’eau en Ile-de-France ?

Les cyanobactéries sont de plus en plus contrôlées face au danger qu’elles représentent lorsqu’elles prolifèrent trop, notamment dans certains plans d’eau d’Ile-de-France, qui ont dû fermer les activités nautiques au public.

? Par Aude Lorriaux dans un article sur le site du 20 minutes


  • Aux Bréviaires, à Moisson ou à Champs-sur-Marne, plusieurs plans d’eau d’Ile-de-France ont interdit au mois d’août les activités nautiques au public, à cause de la prolifération des cyanobactéries.
  • Ces sortes de petites algues bleues peuvent provoquer entre autres diarrhées et vomissements lorsqu’elles s’accumulent trop dans l’eau, sous l’effet de l’agriculture intensive, des rejets domestiques et du réchauffement climatique.
  • La seule façon de faire disparaître le fluo de nos plans d’eau, c’est de limiter les activités qui polluent.

Elles ont une drôle de couleur fluo, entre vert et bleu, qui fait la joie des photographes, mais le malheur des autorités sanitaires : les cyanobactéries, ces micro-organismes qui ressemblent à des algues, ont occasionné ces dernières semaines la fermeture de plusieurs points d’eau en Ile-de-France. Quels risques encourt-on si on se baigne dans une eau qui en contient en grand nombre ? Ces filaments sont-ils en expansion en Ile-de-France et à quoi est dû leur développement ? On a fait le point.

Où les cyanobactéries sont-elles présentes en Ile-de-France ?

Près des trois quarts des plans d’eau d’Ile-de-France ont des cyanobactéries, mais la plupart en ont en quantité limitée, dangereuse ni pour l’homme ni pour l’animal. C’est quand leur présence est trop forte qu’on est obligé de prendre des mesures. Comme ce qui s’est passé sur le lac de Créteil, où paddle et planche à voile ont été suspendus. Le triathlon est également interdit au Parc interdépartemental des sports de Paris-Val de Marne depuis des prélèvements de l’Agence Régional de Santé (ARS) le 31 juillet dernier.

Les Yvelines sont aussi en apparence très touchées puisque la baignade et les activités nautiques sont interdites depuis le 8 août dans l’île de loisirs des Boucles de Seine à Moisson, avec une concentration de cyanobactéries trois fois supérieure au seuil maximal. Et impossible de se baigner également dans les étangs de Hollande, sur la commune des Bréviaires, où la concentration de microcystines, des toxines produites par ces « jolies algues bleues », est montée à 0,45 µg/L, contre 0,30 µg/L pour le seuil réglementaire, selon l’ARS, contactée par 20 Minutes. Enfin, la base de loisirs départementale de Champs-sur-Marne est également fermée, suite à deux alertes.

L’Ile-de-France est-elle plus touchée que les autres régions ?

Outre ces fermetures, une surveillance renforcée existe dans d’autres bases, comme celle du Val de Seine, de La Grande-Paroisse, le Bassin plaine sud du Parc de Choisy et l’étang de l’Ile de Loisirs de Cergy-Pontoise.

Pour autant, si l’Agence régionale de santé est vigilante, pas de quoi paniquer. Selon Catherine Quiblier, professeure à Paris Cité, elle n’est pas plus sujette à se teinter de cyan (d’où tire son nom la bactérie) que les autres régions. L’Ouest de l’Hexagone, notamment la Région Poitou Charente, n’a rien à nous envier. Moselle, Auvergne, Bretagne… ; « Il y en a partout », résume Catherine Quiblier.

Quels risques pour la santé et quelles précautions ?

Avant d’accabler ces petites bestioles fluo, prenons le temps de leur rendre hommage. Car sans les cyanobactéries, nous n’existerions peut-être pas.  

« Les cyanobactéries sont les premiers organismes à avoir fabriqué de l’oxygène ! Ils ont permis l’existence de plusieurs formes de vie, dont l’espèce humaine »,

nous explique l’Agence Nationale Sécurité Sanitaire Alimentaire Nationale (Anses).

Maintenant, se baigner dans une eau recouverte de ces bactéries présente des dangers. On peut avoir des diarrhées et vomissements, une irritation de la peau, du nez ou de la gorge, de la fièvre. La dose peut même être mortelle pour un chien ou un petit animal, mais aucune personne en France n’est à ce jour, selon les connaissances actuelles, morte d’avoir approché de trop près ces organismes.

Pour éviter de tomber malade, il faut cependant éviter les activités nautiques en leur présence, tenir les chiens en laisse, surveiller les jeunes enfants, prendre une douche lorsqu’on s’est baigné dans une eau polluée et consulter dès les premiers symptômes.

Pourquoi les cyanobactéries prolifèrent-elles ?

Les cyanobactéries se nourrissent pour se développer de phosphore et d’azote, qui sont produits par l’agriculture intensive lorsque les intrants sont en surdose. Mais il n’y a pas que l’agriculture qui apporte ces nutriments qui viennent gonfler les bactéries. Les boues de station de traitement des eaux usées en contiennent, comme les rejets domestiques. Les cyanobactéries se sont longtemps nourries des phosphates des lessives, aujourd’hui interdits, mais les plans d’eau ont eu tendance à en stocker. Enfin, nous explique Jean-François Humbert, DR INRAE de l’équipe CoMiC à iEES Paris, les stations d’épuration peuvent être shuntées lors de gros orages, et charrier leur lot de pollution dont raffolent les algues bleues.

Un membre du collectif du lac de Créteil nous explique par exemple que le développement de cyanobactéries dans ce plan d’eau n’a rien à voir avec l’agriculture.

« C’est de l’eau du ruissellement qui passe sur des restes de pneus, la chaussée, les crottes de chiens… Car dans les excréments il y a de l’azote et du phosphore. »

Le réchauffement climatique joue-t-il un rôle ?

« L’impact du changement climatique sur les proliférations de cyanobactéries est actuellement discuté dans la communauté scientifique », 

écrit sur son site l’Anses.

Pas de quoi se mouiller, mais Jean-François Humbert nous explique :

« Le taux de division des cyanobactéries augmente avec la température. Mais la température à elle seule ne suffit. »

« Pour ce qui concerne les cyanobactéries benthiques [car il y en a de deux sortes, les benthiques dans les cours d’eau et les planctoniques dans les plans d’eau, pour schématiser] le changement climatique joue un rôle important. Notamment parce que les étiages très bas sont favorables à leur développement,

complète Catherine Quiblier.

Mais les benthiques sont peu présentes en Ile-de-France.

Au global, ce qu’il faut retenir, c’est qu’il y a un ensemble de facteurs, et donc pas un seul et unique coupable. « Ce sont des coresponsabilités », résume Catherine Quiblier.

Est-ce qu’il y a plus de cyanobactéries qu’avant ?

On ne peut pas dire qu’avec les cyanobactéries on vous vend une nouveauté, ou un truc très tendance. Elles existent depuis deux à trois milliards d’années ! Pour autant, est-ce que leur présence s’accroît, et faut-il s’en inquiéter ? Prenons le premier niveau le plus global, la planète. Là, oui, cela augmente, en raison notamment du développement de l’agriculture intensive depuis trente ans.

« L’augmentation des proliférations de cyanobactéries partout dans le monde doit nous interpeller sur les menaces qui pèsent sur la qualité de l’eau et la biodiversité » 

rapporte le site du Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN).

Si on réduit la focale sur une plus courte durée et un plus petit territoire, comme la France, c’est déjà moins clair.

« Cela fait 30 ans que c’est un problème important. Mais on n’est pas persuadé que cela a augmenté dans les dernières années »,

avance prudemment Jean-François Humbert.

Catherine Quiblier constate quant à elle une recrudescence dans une certaine catégorie, les benthiques, « depuis 2017 », « mais pour les plans d’eau, ça n’est pas évident ».

Et en Ile-de-France ? L’équipe de recherches sur les cyanobactéries du Muséum national d’Histoire naturelle a mené une recherche sur 50 plans d’eau, sélectionnés pour être représentatifs du millier de plans d’eau de la région. Des échantillonnages effectués entre 2007 et 2022, il ressort que le nombre de sites contaminés reste assez stable (environ 12) et que ce sont toujours à peu près les mêmes. Mais ce qui change, c’est que

« sur certains sites les cyanobactéries sont présentes plus longtemps et avec une plus grande quantité de biomasse »,

observe Cécile Bernard, écotoxicologue au MNHN.

Autrement dit, sous l’effet notamment des fortes chaleurs qui s’étalent dans le temps, la durée et la quantité du phénomène augmentent sur certains sites.

Que peut-on faire pour lutter contre les cyanobactéries ?

La seule façon de faire disparaître le fluo de nos plans d’eau, c’est de limiter les activités qui polluent.

« La réduction des apports de phosphore et d’azote dans les eaux de surface reste aujourd’hui la seule façon durable de protéger et/ou de restaurer ces écosystèmes vis-à-vis des proliférations de cyanobactéries planctoniques »,

explique l’Anses.

Et quand on ne peut pas agir directement à la source des pollutions, autant éviter qu’elles se déversent dans l’eau. La base nautique de Viry a mis au point dans les années 2000 un système de récupération des eaux de ruissellement qui a été efficace, nous expliquent tous les chercheurs et chercheuses interviewées.

Terminons sur une note semi-optimiste. Oui, les cyanobactéries « nécessitent une vigilance » explique Catherine Quiblier. Mais la chercheuse tient à rassurer : « C’est loin d’être le danger extrême de notre siècle. »

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