En France, les espèces solitaires sont menacées par le trop-plein des ruches urbaines, et l’abeille noire autochtone par l’importation massive de souches étrangères. Entre elles, la concurrence fait rage.
? Un article de Jean-Michel Normand dans Le Monde.
Des ruches à Paris ? L’idée n’est pas nouvelle. A la fin du XIXe siècle, on en compte près de 1 300 et l’active ceinture maraîchère de la capitale contribue à assurer leur approvisionnement en ressources mellifères. Le siècle suivant voit le déclin de l’apiculture parisienne, circonscrite aux ruchers du jardin du Luxembourg et de quelques congrégations religieuses mais, depuis les années 2000, une passion frénétique pour les abeilles s’est emparée de Paris. De l’Opéra Garnier aux jardins du palais de l’Elysée, c’est à qui déroulera le tapis vert sous les pas d’Apis mellifera. Entre 1988 et 2018, le nombre de colonies a bondi de 96 à 1 500. La dernière statistique du ministère de l’agriculture en dénombre 2 223. Record battu.
Les abeilles parisiennes sont partout mais le charme s’est rompu. Trop de ruches ; leur concentration est de 22 au kilomètre carré contre trois pour la moyenne nationale. Trop de butineuses à se disputer les floraisons qui se raréfient ; l’été, on en surprend souvent venues lécher les gouttelettes de soda des canettes abandonnées. Ces colonies citadines doivent être régulièrement nourries artificiellement et renouvelées en raison de leur mortalité élevée. Trop de business, aussi. En partie supervisée par l’Union nationale de l’apiculture française (UNAF), la multiplication des ruches sur les toits d’organismes divers et d’entreprises en quête d’un brevet commode d’écoresponsabilité fait flamber les prix : certains contrats d’entretien annuels peuvent dépasser les 4 000 euros par ruche ; dans les boutiques chics, on trouve des pots « miel du Marais » ou « miel de Paris » pour 5 euros les 30 g, soit 150 euros le kg.
Cette ruée exerce une telle pression sur les ressources florales que les pollinisateurs moins en vue (bourdons et abeilles solitaires comme les osmies) seraient en passe de disparaître de l’espace urbain. Isabelle Dajoz (Équipe EERI du Département DCFE), chercheuse à l’Institut d’écologie et des sciences de l’environnement de Paris, s’en est inquiétée dans une étude parue en 2019. Pendant trois années, elle a observé la fréquentation d’insectes pollinisateurs sur plusieurs espaces verts. « Plus il y a de ruches dans les alentours, moins sont fréquentes les visites des autres pollinisateurs, constate l’universitaire. Les abeilles domestiques parisiennes sont si nombreuses qu’elles captent les ressources florales. Et Paris, faut-il le rappeler, n’est pas un vaste champ de fleurs. »
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