Soutenance HDR de Matthieu DACHER

Les motivations alimentaire et sexuelle replacées dans une vision intégrative du comportement chez le papillon

Maître de Conférences à Sorbonne Université

Composition du Jury

Xavier BELLÉS-ROS, Professeur ad honorem au CSIC à Barcelone, Rapporteur
Anne-Marie CORTESERO, Professeure à l’Université de Rennes, Rapporteuse
Jean-Christophe SANDOZ, Directeur de Recherches CNRS à Gif-sur-Yvette, Rapporteur
Barbara CONTI, Professeure à l’Université de Pise
Frédéric MARION-POLL, Professeur à Agro-Paris-Tech
Hélène POUZET, Professeure à Sorbonne Université

Depuis le début de ma carrière en 2001, mes recherches portent sur le comportement animal.
Je me suis principalement intéressé aux insectes : l’abeille Apis mellifera (un Hyménoptère
domestiqué de la famille des Apidés) et les papillons de nuit Agrotis ipsilon et Spodoptera littoralis
(des Lépidoptères ravageurs de la famille des Noctuidés). En effet, ces animaux montrent des
comportements bien caractérisés et faciles à étudier, et sont de bons modèles pour aborder plusieurs
phénomènes : mémoire, perception des aliments, reproduction. Afin d’avoir une vision intégrative de
leurs comportements, j’ai recherché des thèmes unificateurs pour l’aborder tant sous les angles
mécanistiques que fonctionnels. Ainsi, lors de mes premiers travaux (thèse, post-doctorat), je me suis
intéressé aux mécanismes de la cognition, et depuis mon recrutement j’ai poursuivi cette vision
intégrative en m’intéressant aux rôles des motivations dans les comportements.

Durant ma thèse et mes post-doctorats, mes travaux se sont focalisés sur les mécanismes de
l’apprentissage. J’ai ainsi distingué pharmacologiquement deux formes de mémoire chez l’abeille à
l’aide du conditionnement de l’extension de la trompe. Un autre de mes résultats notables sur cet
insecte a été la mise en évidence d’un mécanisme de désensibilisation de la réponse au sucre par les
odeurs ; cette désensibilisation compromet l’apprentissage ultérieur des odeurs.

Depuis mon recrutement à Sorbonne Université en 2012, j’ai poursuivi mes travaux sur le
comportement des insectes en étudiant les motivations reproductrice et nutritionnelle chez A. ipsilon
et S. littoralis. Comme beaucoup de papillons de nuit, les mâles de ces espèces détectent même à de
très faibles concentrations les phéromones sexuelles émises par les femelles ; ils y répondent alors
par vol très spécifique. Celui-ci est crucial pour la rencontre des sexes et l’accouplement, ce qui le
rend idéal pour étudier la motivation sexuelle. Ce vol peut être étudié à l’aide d’un tunnel de vol.

Grâce à ce dispositif, j’ai contribué à montrer chez A. ipsilon que le ratio des composants
phéromonaux déclenchant une réponse optimale est modulé par les odeurs de l’environnement. Cette
modification comportementale correspond à une modulation de la détection neuronale en périphérie.
Ces travaux ont été prolongés par la mise au point d’une méthode d’analyse quantitative des
trajectoires en vol reposant sur leur découpage en segments. Cette méthode a permis de montrer que
la perception de la phéromone sexuelle induit une modification simple de la trajectoire en vol : des
angles de virage plus importants accroissent la probabilité de trouver la source phéromonale. Ces
résultats illustrent bien la façon dont la motivation pour un stimulus (ici la phéromone sexuelle)
affecte un comportement (ici, le vol orienté de l’animal).

En outre, au-delà de la motivation pour la reproduction, une partie importante de mes travaux
a consisté à démontrer que les papillons de nuit sont de bons modèles pour étudier la motivation
alimentaire. J’ai ainsi développé un protocole permettant de mesurer la sensibilité des papillons aux
sucres (leurs principaux nutriments) ; ce protocole repose sur des courbes doses-réponses basées sur
le réflexe d’extension de la trompe que ces animaux manifestent lorsque leurs antennes entrent en
contact avec une solution sucrée. J’ai ainsi montré que la durée du jeûne module la sensibilité au
saccharose. De plus, les sucres interagissent de façon non-linéaire en cas de mélanges : par exemple,
bien que les animaux répondent beaucoup moins bien au glucose qu’au fructose, remplacer la moitié
du fructose par du glucose n’a pas d’effet sur leur taux de réponse par rapport à celui du fructose seul,
peut-être en lien avec les nectars butinés par ces papillons. L’habituation de la réponse d’extension
de la trompe est une forme d’apprentissage simple qui permet elle aussi de quantifier la motivation
pour l’alimentation : des animaux très motivés s’habituent moins que les autres. En effet, cette
réponse d’habituation s’avère négativement corrélée à la sensibilité au sucre. Quelques travaux sur
l’abeille sont venus compléter ces recherches sur les motivations alimentaires, en montrant que la
performance des animaux lors de conditionnements olfactifs dépendait du couple odeur/sucre
employé, un phénomène appelé congruence ; le thymol (un produit utilisé en apiculture) perturbe ces
associations.

Dans un avenir proche, je compte approfondir ces travaux sur les motivations, toujours dans
une perspective intégrative. En effet, la motivation pour la reproduction est mise en place et soustendue
par des voies de signalisation hormonale (ecdysone, hormone juvénile) et neurobiologique
(amines biogènes). Nos premiers résultats (basés sur l’injection de ces molécules ou de leurs
antagonistes) montrent que c’est aussi le cas pour la motivation alimentaire, ce qui signifie que les
deux formes de motivations partagent les mêmes voies. Nous avons par ailleurs montré que la préexposition
aux phéromones sexuelles modifie l’habituation. Ces observations sont d’autant plus
intéressantes qu’A. ipsilon manifeste une transition développementale : les mâles adultes ne sont
sexuellement matures et ne répondent à la phéromone sexuelle qu’après 5 jours de vie adulte. Je fais
l’hypothèse que cette transition développementale est associée à l’alimentation. Les premiers résultats
obtenus vont tout à fait dans ce sens : jouer sur la composition de l’alimentation des mâles a modulé
le moment de la maturation sexuelle. Ces résultats seront complétés par le suivi des animaux dans
des cages d’élevages permettant d’enregistrer en fonction du temps le moment et la quantité
d’aliments consommés : ceci permettra de corréler directement le comportement alimentaire des
mâles avec leur comportement reproducteur, et donc de comprendre comment les motivations
nutritionnelle et sexuelle interagissent. Un tel dispositif permettra en outre d’aborder l’étude des
femelles : en effet, la focalisation de la littérature sur réponse des papillons mâles à la phéromone les
ont reléguées dans l’ombre jusqu’à présent. Par ailleurs, les protocoles qui ont été développés seront
idéaux pour étudier l’effet de différents polluants sur leur biologie. Enfin, mon but à long-terme sera
de comprendre comment les motivations impactent l’écologie de l’alimentation et de la reproduction
chez les papillons adultes, et au-delà comment elles ont évolué. Ceci nécessitera des études de terrain,
qui seront facilitées par les résultats précédents obtenus au laboratoire. Ce type de travail présentera
en outre des perspectives appliquées. En effet, les chenilles de ces papillons sont des ravageuses de
plusieurs plantes d’intérêt agricole ; comprendre comment les sources d’aliments (fleurs contenant
différents types de nectar) influencent la reproduction des papillons aidera à mieux les contrôler sans
utiliser de pesticides.